Le point de vue de la psychopathologue
Pouvoir n’est pas violence, la violence est un outil du pouvoir, jamais de l’autorité. La violence utilise la contrainte, l’autorité exclut la contrainte. Il n’y a plus d’autorité, là où il y a violence. Une parole aliénante peut être une forme de violence. L’autorité se perd souvent dans des lieux où ils s’actualisent des conflits de pouvoir, là où il y a harcèlement il y a pouvoir et non pas autorité.
Selon Ariane Bilheran (2009), l’autorité est souvent confondue avec le pouvoir. Le pouvoir est application de la force qui décide, ordonne, surveille et punit. L’autorité est une forme d’ascendance sur autrui, contractée par le champ du savoir. L’autorité est assurée par le temps (savoir ou expérience accumulée etc.). L’autorité peut, selon elle, être un corrélat du pouvoir, elle confère du crédit au pouvoir, elle augmente le pouvoir. « L’augmentation du pouvoir par l’autorité lui confère une action civilisatrice, et non destructrice ».
L’auteur considère que la crise de l’autorité est liée à une société qui méprise le savoir, ou pire, qui l’ignore et lui préfère le règne de l’opinion. « La vertu du pouvoir est la force, celle de l’autorité, la sagesse fondée sur un savoir » (…). Selon elle, « la brutalité actuelle des relations au travail provient bien d’une lacune en autorité. Personne ne répond plus de rien, le manager n’est plus qu’une fonction aux personnes interchangeables, et non pas un humain capable de dignité, d’engagement et de responsabilité ». Le temps n’est investi que pour le court terme et après soi le déluge » (Ariane Bilheran, L’autorité, 2009)
Le point de vue du professeur d’Ecole de commerce
Maurice Thévenet, professeur et « spécialiste en management », considère dans son oeuvre consacré au pouvoir que la notion d’autorité est plus complexe que celle du pouvoir. L’organisation, en donnant grade, titre et position hiérarchique, donnerait l’autorité, alors que le pouvoir serait gagné par la personne… Il rappelle que la racine latine « auctor » aurait donnée non seulement « auteur » mais aussi « augmenter », ce qui revient à cette idée du « pouvoir conférée » de l’autorité. Cette distinction est important pour ses préconisations ultérieures dans son livre : donner du pouvoir non seulement à la personne qui le recherche mais à ceux à qui un collectif confère les capacités d’exercer ce pouvoir. Pouvoir et autorité peuvent être similaires dans leur effet mais pas dans leur origine (M. Thevenet, 2008)
Selon Ariane Bilheran, le groupe où sévit du harcèlement se caractérise par une absence de régulation, de médiation, de tiers
Elle parle de déficit de régulation par le management, dont c’est le rôle, car le manager est censé poser le cadre, sécuriser, protéger son équipe et définir les « interdits fondamentaux ». Actuellement, le management serait souvent glorifié sur ce qu’elle appelle le « mode de la séduction perverse », ce qui génère un groupe qui souffre d’un déficit de sécurisation par son leader. Elle constate qu’aujourd’hui, l’enjeu du manager est souvent de ne pas déplaire, puisqu’il est, selon elle, déjà insécurisé dans sa position.
« Partout là où il y a du pouvoir sans contrepouvoir effectif, il y a abus de pouvoir » -Jeffrey Peffer
Le harcèlement s’instaurerait lorsque le management est tiraillé par cet enjeu séducteur de ne pas déplaire. Le management harcelant ne pourrait s’instaurer que dans des organisations de travail elles-mêmes harcelantes ou laxistes. Autrement dit, soit il est toléré par une direction qui ne sait pas gérer le phénomène, soit il est encouragé par une direction dont l’objet est de soumettre des salariés, soit il y a déni de cette attitude par la direction, parce que la vérité est difficile à admettre. Une fois que le système s’est « emballé », ce qui peut prendre plusieurs années, il ne peut se réguler de lui-même, et il arrive même que des indicateurs d’alerte soient au rouge vif, que des suicides surviennent, sans que cela ne crée un impact réel sur ou une remise en question de l’organisation du travail.
Depuis que les sociétés existent, les hommes s’adonnent à des jeux de pouvoir. Les humains rivalisent entre eux depuis des milliers d’années. Tout au long de l’histoire ils ont gaspillé du temps et une énergie considérables avec ces comportements. Ces comportements sont une réponse à l’anxiété.
Aujourd’hui, ils sont une « réponse » à différentes formes de stress générées par le monde du travail. Ils constituent des mécanismes d’adaptation dans des univers générateurs de défis et de concurrence accrue. Les dynamiques de pouvoir permettent, aux yeux de certains, de garantir la survie personnelle. La pression pour les résultats à court terme incite les salariés à privilégier leur sentiment de sécurité et leur survie organisationnelle, au détriment de l’équipe et de l’intérêt de l’entreprise.
« Never doubt that a small group of thoughtful,committed citizens can change the world. Indeed, it’s the only thing that ever has. »
Margaret Mead
Lire aussi l’article sur le harcèlement
Ariane BILHERAN, L’autorité. Paris : Armand Colin, 2009
Ariane BILHERAN, Tous des harcelés?. Paris: Armand Colin, 2010
Ariane BILHERAN, De la soumission psychologique au travail, Newsletter reçue par email en janvier 2012. site http://www.semiode.com année 2011
Maurice THEVENET, Le management est-il toxique? Le Pouvoir. Paris : Edition d’Organisation, 2008, p. 9
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